La vie est une invitation constante à changer de regard

07/08/2023

Appel à un changement de regard plus que nécessaire, un changement de regard salutaire.

La vie est une invitation constante à changer de regard, pour voir vraiment.

Il y a tellement de façons de poser son regard.

Autant de points de vue que d'humains avec leur histoire.

Et comme il est parfois difficile de voir autrement, tellement nous sommes englués dans une situation, au point de ne pas se rendre compte qu'elle est comme une deuxième peau qui nous aveugle.

Nous avons toutes et tous des situations qui déclenchent de puissantes émotions et/ou réactions et qui nous mettent hors de nous réellement.

La vie est riche et créative en propositions afin de nous permettre pas à pas, de prendre conscience de tout ce que nous ne sommes pas et nous diriger vers la vérité.

Si nous posions tous l'intention ferme de faire quelques pas de recul, pour nous regarder honnêtement, nous pourrions déjà goûter une part de cette vérité. Oui ces quelques pas de recul nous permettraient de voir ce qu'il était impossible même d'apercevoir le nez collé dessus.

Tout a sa raison d'être, absolument tout.

Cette phrase peut choquer car de notre point de vue d'humain avec son histoire, il est impossible de voir l'entièreté de ce qui se joue.

C'est pourtant l'invitation incessante de la vie : « Regarde autrement pour VOIR !! »

Ces temps-ci, mon champ d'expérience est l'accompagnement de ma mère atteinte de la maladie d'Alzheimer : expérience avec de nombreux ingrédients qui se dévoilent progressivement.

Les chiffres : plus d'1 million de personnes en France vivent avec cette maladie, 225 000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année.

Les maladies neuro-dégénératives se déploient à grande vitesse, elles sont avant tout synonymes de perte d'autonomie pour la personne atteinte.

Quelle est l'invitation ici ?

Qu'ont-elles à nous dire, à nous apprendre ?

Et quelle réponse donnons-nous ?

Ce qui saute aux yeux dans un premier temps, ce sont les termes employés : on lit et entend la plupart du temps « prise en charge de la maladie et ses conséquences ».

Déjà là, nous avons à nous arrêter : les malades d'Alzheimer sont une charge pour la société, les institutions et pour les familles, du moins c'est comme cela que l'on communique sur cette maladie. (ceci peut être décliné à l'infini sur toute autre maladie ou handicap).

Le changement de regard passe aussi par le verbe employé et ce qu'il véhicule insidieusement.

Et si « prendre en charge » était remplacé par « prendre soin de la vie », cela changerait-il quelque chose ?

Quelle est l'invitation ici ?

Qu'ont ces maladies à nous dire, à nous apprendre ?

Je vous partage ce que j'ai observé dans cette nouvelle expérience, cela reste un point de vue mais j'y vois de belles pistes d'exploration peut-être plus largement.

Invitation à prendre conscience du rythme, du timing, de l'espèce d'urgence dans laquelle nous vivons, tous les espaces où nous ne prenons plus le temps d'être présents à soi, à l'autre, d'être présents tout court.

Ici pour ma mère Josselyne, qui a 73 ans, pour prendre un petit-déjeuner, une douche et s'habiller, il faut compter minimum 1h30 pour l'accompagner dans chacun des gestes, tout en lui laissant la possibilité de faire par elle-même ce qui est encore possible, trouver un juste équilibre dans le « faire avec » sans lui enlever les capacités parfois devenues très discrètes. Chez elle comme chez beaucoup, la maladie lui enlève progressivement tous les gestes du quotidien.

Pour vous donner un exemple, mettre du dentifrice sur la brosse à dent, remplir un gobelet d'eau pour se rincer la bouche, tout ceci ne veut plus rien dire pour elle, juste parfois ponctuellement quelques réflexes reviennent et disparaissent presqu'aussitôt.

Le schéma corporel a disparu : elle ne sait plus où sont ses mains, ses pieds et l'habillage lui demande donc une grande concentration car il y a encore la volonté de faire.

En fait tout ce que nous faisons machinalement sans présence et qui pour nous coule de source, Josselyne n'a plus la capacité de faire seule et, ça n'a parfois même plus de sens pour elle.

Le langage est en train de disparaître, les mots, certains, ne veulent plus rien dire pour elle. Et donc pour arriver à se comprendre, il est nécessaire d'observer finement, de ralentir encore, d'essayer de sentir donc ici encore, c'est une pleine présence qui est demandée.

Je crois que ces maladies viennent nous alerter et nous posent les questions suivantes :

Où en sommes-nous, sommes-nous présents ?

Prenons-nous soin de la vie ?

Quel rapport avons-nous avec le temps ?

Oui le temps… dans le cadre de ces maladies, le temps est lourdement chargé de ce qu'on appelle le coût horaire. « Le temps c'est de l'argent !! », les ehpad sont devenus de véritables entreprises qui se doivent d'être rentables, pour certaines chaines, elles sont même côtées en bourse. Au niveau institutionnel, les conditions, que ce soit pour les soignants ou les personnes en perte d'autonomie ou totalement dépendantes, sont juste devenues inhumaines (7mins octroyées pour faire une toilette=mission impossible), et je ne vous parle pas du nombre de protections pour incontinence qui sont, elles, rationnées…

Lorsque vous décidez de garder la personne à domicile, le même constat est rencontré.

Dans notre cas, avec ma sœur, en décembre dernier, nous avons fait le choix de créer un logement à notre mère sur le même terrain que ma maison. J'ai arrêté mon activité le temps des travaux et de son acclimatation dans ce nouveau lieu. Elle est entrée dans son logement le 15 juillet dernier. Après constat de ses besoins d'accompagnement, nous nous sommes vite rendues compte, malgré des ressources relativement conséquentes, que nous ne pouvons pas couvrir les « frais » qu'il est nécessaire d'engager pour elle. Et pour le moment, la seule solution qui s'offre, c'est de déclarer la salariée qui vient me seconder sur les horaires qui rentrent dans notre budget et de sortir du cadre pour ma part. Comme m'a très gentiment répondu une personne du pôle autonomie et solidarité du département : « autant pour le handicap, il existe des aides de soutien pour les aidants qui souhaitent s'occuper de leur proche, en revanche pour les personnes âgées dépendantes, il y a un vide, il n'y a donc rien de prévu à part quelques journées par an octroyées par la CAF. Bon courage Madame. »

Voilà la réponse que nous donnons actuellement.

Ces personnes qui voient leur vie s'effacer, s'écrouler, leurs capacités disparaître, qui prennent conscience jour après jour qu'elles ne sont plus « utiles », qui souffrent, ces personnes dont les besoins fondamentaux sont la présence d'autres humains, du temps, de la patience, de la douceur, recevoir de l'amour, continuer à exister, être entourées, eh bien ces personnes sont en fait laissées pour compte, elles ne servent plus à rien, coûtent des millions à la société et donc…..

Je crois sincèrement qu'elles sont là pour nous réveiller, nous dire :

« Hey, qui es-tu ? Où es-tu ? Rappelle-toi !!! »

Elles ont un grand rôle à jouer et c'est pour cela qu'elles sont de plus en plus nombreuses, car elles viennent nous toucher, nous impacter directement, car elles sont proches de nous.

« Les enfants qui meurent de faim en Afrique ? Je ne les côtoie pas. »

« La guerre, la torture, ça fait peur, heureusement c'est à des kilomètres de chez moi… »

Mais là, pouvons-nous encore fermer les yeux, détourner le regard, continuer à laisser derrière nous tous ceux qui sont considérés comme inutiles, défaillants, ayant une moindre valeur ?

Sommes-nous vraiment d'accord avec ça, allons-nous accepter de mettre au rebut tous les humains qui ne rentrent plus dans les cases ?

Si nous le faisons, si nous continuons à ne pas vouloir Voir, à ne pas entendre l'appel qui nous est lancé, à laisser mourir d'autres humains, à ne pas prendre soin de la vie, nous ne serons pas mieux qu'un certain Hitler.